Centres de gravité : les révolutions en Libye, en Égypte, en Tunisie et ailleurs, vues de Russie
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Centres de gravité : les révolutions en Libye, en Égypte, en Tunisie et ailleurs, vues de Russie
24/02/2011 - http://blogs.tv5.org/caravane/2011/02/centres-de-gravit%C3%A9-les-r%C3%A9volutions-en-libye-en-%C3%A9gypte-en-tunisie-et-ailleurs-vues-de-russie.html
Depuis deux mois, en France, mais aussi à ce que j’ai pu en lire ou en voir dans les médias européens et américains du Nord, donc ou bien du côté des anciens, ou bien du côté des nouveaux colonisateurs, la géographie compte deux espaces : les pays occidentaux et le monde arabe, un ensemble indifférencié qui irait de Tanger à Téhéran, en passant par Istanbul et Djibouti… Les commentateurs se réjouissent, à juste titre, de la fin des dirigeants de ce « monde arabe », mettant dans le même sac Kadahafi et Moubarak, l’Algérie et le Yémen, tous des dictateurs, tous des sauvages. Les mots plus nuancés qui iraient graduer les despotes, tyrans, potentats, dynasties, et autres népotismes, les histoires politiques des pays, anciens États millénaires, ou agglomérats cinquantenaires, les formations citoyennes anciennes ou récentes, semblent avoir été bannis du vocabulaire, puisque l’étalon est désigné : Kadhafi et les Libyens, et donc sus à tous les régimes et toutes les élites du « monde arabe ».
Il est donc intéressant de changer notre centre de gravité et d’aller lire ce qui se dit ailleurs. Et, oh surprise, dans la presse russe, le monde arabe n’existe pas. L’excellente Nezavissimaïa Gazeta, quotidien moscovite indépendant, par exemple, affiche une Une éclatante avec ce titre : Libre Afrique ! Parce que oui, il faut bien rappeler que la plupart de ces pays en ébullition, appartiennent au continent africain, à l’exception pour l’instant de Bharein et du Yémen (qui frôle cependant la Corne de l’Afrique…). Et le journal ose un parallèle audacieux : « tout comme en 1960, lorsque l’un après l’autre les empires coloniaux se sont effondrés, cinquante ans après, les masses, une nouvelle fois renversent les régimes autoritaires. » Le quotidien a cherché à savoir pour quelles raisons, ces mouvements s’étaient ainsi mis en marche dans ces pays. Et ils ont trouvé une réponse fort intéressante auprès du professeur Ragui Assaad de l’Université du Minnesota (allez savoir pourquoi ils sont allés chercher un spécialiste si loin de Moscou, est-ce qu’il parle russe ?) : l’universitaire a attiré l’attention sur le facteur démographique de ces pays, qui explosent sous la poussée des jeunes – en Algérie, par exemple, 65% de la population a moins de 30 ans. « En Extrême orient et en Asie du Sud Est, dont les économies sont ouvertes, l’irruption de la jeunesse sur le marché du travail, a été vue comme une aubaine. En Afrique et au Moyen Orient, les États ont développé des systèmes économiques, en contradiction totale avec « l’augmentation » exponentielle des ressources humaines. Quand vous avez des jeunes dont l’attente augmente en fonction de leurs études, que ces espérances sont déçues, et que ces aspirants sont renvoyés à leurs foyers, l’aigreur et la frustration montent, la colère aussi, et ils deviennent dangereux. » Selon Ragui Assaad, les courbes démographiques qui commencent à se renverser comme en Tunisie et peut-être bientôt en Égypte devraient amorcer un retour à la stabilité.
Soyons honnêtes, en France, le démographe Emmanuel Todd a développé le même type d'explications...
L’antique Pravda, vestige en noir et blanc, de la grande Union soviétique, propose la même géographie de la rébellion : c’est une affaire africaine. Pour preuve, "les hélicoptères et autres avions pilotés par des mercenaires à la solde de la Libye de Kadhafi, viendraient du Nigéria, du Tchad, de la Guinée, et même de Tunisie".
Le Moscow Times, journal russe en anglais, s’est intéressé pour sa part à la nouvelle réthorique dmitrievienne, plus proche selon l’éditorialiste de la geste poutinienne que du lexique habituel du président russe. « Voyons la vérité en face, a dit Dmitri Medvedev. Ils (c’est à dire les forces obscures du mal et étrangères) avaient préparé un tel scénario pour nous, et maintenant ils essayeront encore plus durement de nous l’appliquer. »
Le problème c’est que le maître du Kremlin n’a pas explicité qui il entendait dans ce « Ils ». Mais le Moscow Times suppose qu’il désigne ainsi ceux que son prédécesseur Vladimir Poutine avait villipendé lors des « révolutions oranges » des années 2000 en Ukraine, en Géorgie ou au Kirghizstan. "Ils" étaient alors les dirigeants et les services occidentaux. Mais Evgueni Primakov, ancien Premier ministre, et chef du KGB extérieur, arabophone et grand spécialiste du Moyen Orient, dément absolument cette hypothèse : « J’étais aux Etats-Unis quand les troubles égyptiens ont éclaté. J’ai rencontré de nombreux diplomates. Et je suis absolument certain que ce qui arrivait provoquait alors chez eux un profond étonnement et un grand choc. »
La menace de forces extérieures développée par Medvedev suggère autre chose, nous dit aussi Andreï Soldatov, un politologue réputé dans la capitale russe : c’est que comme les dirigeants arabes, les autorités russes ont une très piètre maîtrise de la réalité russe. « Et par ailleurs, le président Medvedev, passé maître dans l’art de manier les réseaux sociaux, imagine très bien quelle peut être leur capacité à mobiliser les masses. »
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