Russie : les ambitions nouvelles du président Medvedev - Benjamin Quenelle
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Russie : les ambitions nouvelles du président Medvedev - Benjamin Quenelle
11/06/2010 - http://www.lesechos.fr/info/inter/020542458319.htm
Officiellement, tout va pour le mieux entre le président russe et le Premier ministre, Vladimir Poutine, qui sera demain de passage à Paris. Mais, entre les deux hommes, une sourde rivalité commence à transparaître. S'appuyant sur un cercle de fidèles peu connus du grand public, Dmitri Medvedev prend de l'assurance. Et se projette déjà vers la présidentielle de 2012.
Posez-moi toutes les questions qui vous tracassent, même sur le tandem Poutine-Medvedev ! » Très à l'aise, un rien provocateur, Igor Shouvalov, l'une des étoiles montantes du gouvernement russe, veut séduire ses hôtes du jour, petit groupe de visiteurs occidentaux triés sur le volet. Premier vice-Premier ministre, le personnage intrigue : ancien conseiller de Vladimir Poutine, il a suivi l'ex-chef du Kremlin à la tête du gouvernement mais, parallèlement, est devenu l'un des plus fervents partisans de la voie libérale défendue par Dmitri Medvedev, président depuis 2008. Selon la rumeur, Igor Shouvalov serait l'un de ces « poutiniens devenus medvedéviens ». Une équipe en construction, dont l'ambition n'est autre que de « moderniser » la Russie. Avec en ligne de mire la présidentielle de 2012.
« Medvedev est venu au Kremlin sans programme, sans équipe. C'est en train de changer ! », insiste Evguenï Gontmakher, grande figure d'Insor. Ce « think tank », fondé par Dmitri Medvedev avant qu'il ne soit choisi par Vladimir Poutine pour lui succéder, fourmille de libéraux appelant à des réformes économiques et politiques. « Nous suscitons de vrais débats, mais cela ne constitue pas pour autant une équipe », relativise le directeur des études macroéconomiques au Haut Collège d'économie, Sergueï Aleksashenko, ex-ministre libéral très actif en coulisses. De fait, ce cercle de soutien au président Medvedev est à la fois vaste et vague. « Ils forment un lobby. Ils étaient déjà présents sous la présidence Poutine mais, aujourd'hui, ils donnent enfin l'impression d'avoir une influence », observe le représentant à Moscou d'une grande organisation financière internationale. « Ils ont fait tomber des tabous, sujets désormais plus ou moins prioritaires et objets de débats entre eux, comme l'amélioration du climat pour les investissements, les privatisations, l'endettement, la hausse des impôts, l'indépendance de la banque centrale… »
Un duo complémentaire
Parmi les « piliers » de cette « famille » libérale figurent, au sommet, Igor Shouvalov mais aussi Arkadi Dvorkovitch, conseiller économique du président (qui était déjà là sous l'ère Poutine). « Autour de Shouvalov ou Dvorkovitch, il y a de plus en plus de gens qui, venant du monde des affaires, militent pour une plus grande libéralisation dans l'économie et la société », témoigne le directeur d'une des grandes banques russes. « Ce qui est nouveau, c'est qu'ils parlent haut et fort. C'est une force d'action… » D'autant plus que, parallèlement, Dmitri Medvedev a placé plusieurs de ses hommes dans les comités de direction de grandes entreprises étatiques. Des inconnus, certes. Mais de potentielles voix influentes…
« Je travaille à la fois avec Poutine et Medvedev », s'empresse de tempérer Igor Shouvalov, très en confiance dans son bureau au style Empire. « Ils ont des personnalités différentes, mais partagent un même agenda, celui des réformes dans la stabilité. Complémentaires, ils prennent les décisions ensemble », assure-t-il. Jovial, mais prudent. « Avant, la Russie avait un président qui, en grande partie, assumait le travail de Premier ministre. Aujourd'hui, elle a un vrai président et, en plus, un vrai chef du gouvernement. Gros progrès ! » Sur le ton de la plaisanterie, Igor Shouvalov reprend en fait ce que la majorité des observateurs, politiques et économiques, ne cessent de répéter à longueur de journée : officiellement, gouvernement et président travaillent main dans la main.
« Ne cherchez pas de querelles là où, entre un Poutine conservateur et un Medvedev plus moderne, il n'y a que les tensions inévitables de couple. Ils sont faits pour rester unis », recommande un ancien homme clef de l'administration du Kremlin, resté proche du pouvoir. « Ils se parlent régulièrement au téléphone. Medvedev définit le cadre, Poutine assure l'application », explique Dimitri Peskov, porte-parole du Premier ministre. « Les deux hommes et leurs entourages travaillent ensemble, sans grande différence », ajoute Alexeï Venediktov, l'un des rares journalistes indépendants rencontrant régulièrement les principaux acteurs politiques. Un haut diplomate européen à Moscou se réjouit même de pouvoir « enfin » travailler avec « un gouvernement fonctionnant efficacement en Russie ! Lorsque nous posons une question, nous sommes désormais sûrs d'obtenir une réponse ou un rendez-vous dans les temps ».
La communauté d'affaires semble partager cet enthousiasme. Régulièrement, les investisseurs étrangers disent apprécier les discours libéraux chez Medvedev, mais aussi la disponibilité et la connaissance des dossiers chez Poutine. « Pour les gens du business, ce tandem fonctionne de manière équilibrée. Poutine a l'expérience. Mais Medvedev construit peu à peu son équipe et, avec sa vision libérale, il a une réelle influence », assure Sergeï Ouline, le vice-président d'Alrosa, puissant groupe russe producteur de diamants.
Une inversion des pouvoirs
Pour ces observateurs, pas de doute : Medvedev et Poutine resteront au pouvoir longtemps. « Ils travailleront en tandem après 2012 », vient d'ailleurs de déclarer Boris Gryzlov, président de la Douma (chambre basse du Parlement russe) et proche de Vladimir Poutine. Car, il ne faut pas s'y tromper : dans les régions comme dans les hautes administrations à Moscou, où il garde le contrôle des ressources financières, l'ancien président entretient ses réseaux de fidèles.
« Ils sont partout ! Et, bien souvent, les supposés hommes de Medvedev sont avant tout des hommes de Poutine. Pour les circonstances, ils ont changé de visage », décode la politologue Lilia Shev-tsova, qui interprète ainsi les discours : Medvedev parle aux forces libérales, Vladimir Poutine aux forces conservatrices. Dans ces conditions, certains spécialistes de la vie politique russe n'excluent pas qu'à l'approche de 2012 un nouveau partage du pouvoir s'orchestre entre les deux hommes, mais en sens inverse : Medvedev prenant la tête du gouvernement… et Poutine revenant au Kremlin. Un gage de stabilité, si chère à la population depuis les chaotiques années de sortie du communisme. Et une façon de désamorcer un conflit de personnes qui risquerait de détruire tout le système politique.
« Poutine et Medvedev ne font qu'arrondir les angles », prévient le politologue Igor Bounine, persuadé au contraire d'un début de « conflit psychologique et d'états-majors entre les deux hommes ». Selon lui, un tournant a été, en décembre, la décision du Kremlin de congédier les chefs de l'administation pénitentiaire après la mort mystérieuse en prison d'un avocat célèbre. « Cette décision aurait été prise sans le feu vert de Poutine », raconte Igor Bounine. « La tension était visible entre les deux hommes, même si, en public, ils se sont efforcés de donner le change. Mais, depuis, certaines initiatives du président ont clairement été dirigées contre le Premier ministre, qui s'en agace. »
C'est un fait, avec le temps, le président Medvedev prend des initiatives. Et n'hésite plus à critiquer le gouvernement. « Un jour, il s'en prend à la politique d'innovation, le lendemain à la stratégie énergétique, puis aux politiques industrielles… Or qui est responsable de ces dossiers ? Poutine », ironise un homme d'affaires français qui, politiquement bien connecté, croit en un début de rivalité entre les deux hommes. Tics, sourires et discours le confirmeraient : Dmitri Medvedev a pris de l'assurance. « Du coup, on sent une nervosité chez Poutine, même s'il ne dit rien de sa relation avec Medvedev », témoigne un journaliste, membre du pool suivant le Premier ministre.
Les hommes du président
Non seulement Dmitri Medvedev commence à agir de son propre chef, mais il se permet aussi de nommer des proches à des postes clefs. Avec son « opération mains propres » sur la police, il a ainsi remercié deux vice-ministres de l'Intérieur, remplacés par des hommes de confiance venus du Kremlin. S'attaquer à la corruption et à l'inefficacité des policiers, c'est s'attaquer de front aux « siloviki », ces « hommes de force » [anciens militaires, policiers ou membres des services secrets, NDLR] dont l'influence s'est accrue sous la présidence Poutine. Ces nominations hautement symboliques viennent s'ajouter à celles d'autres proches de Dmitri Medvedev, décidées juste après son élection. Ce premier cercle comprend Alexandre Konovalov (ministre de la Justice), Anton Ivanov (président de la Haute Cour d'arbitrage) et Konstantin Tchouïtchenko (chef du département des Contrôles au Kremlin). Des noms inconnus du grand public, à l'influence pour le moment limitée. Mais pour le moment seulement…
A Moscou comme dans les régions, à l'occasion du renouvellement normal des cadres arrivés à l'âge de la retraite ou au terme de leur mandat, ces nominations permettent à Dmitri Medvedev de se constituer un réseau d'hommes nouveaux et fidèles, lui devant désormais leur carrière. « Ils font passer le message. C'est pourquoi on voit le président plus sûr et affirmatif : il parle désormais de sa candidature en 2012 sans évoquer Poutine. Il pourrait même devenir candidat contre lui », affirme le politologue Boris Touchine. Signal parmi d'autres, le récent scandale des vidéos compromettant plusieurs hommes d'opposition, filmés coup sur coup avec une même prostituée, pourrait selon lui annoncer une « seconde salve », orchestrée bien sûr par l'entourage de Poutine. « Plusieurs figures libérales gravitant autour de Medvedev redoutent d'être les prochaines victimes de ces bonnes vieilles méthodes », assure Boris Touchine.
Au-dessus de la mêlée, Dmitri Medvedev se contente de dire publiquement « ne pas exclure » d'être candidat en 2012. Mais, deux ans après avoir quitté le Kremlin, Vladimir Poutine est toujours perçu comme le véritable leader : selon un sondage récent, 66 % des Russes considèrent qu'il garde sous son contrôle le président, jugé acteur indépendant par seulement 22 % des personnes interrogées. « Qui sera candidat en 2012 ? Je n'en sais rien », confie quant à lui Igor Shouvalov, volontairement évasif. Mais certains détails en disent long : pour l'heure, un seul portrait officiel trône dans son bureau. Celui de Vladimir Poutine.
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