La machine à propagande de Vladimir Poutine - Par Marie Jégo
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La machine à propagande de Vladimir Poutine - Par Marie Jégo
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/04/01/la-machine-a-propagande-de-vladimir-poutine_4393428_3214.html
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Parce qu'elle est intervenue dans la foulée des Jeux de Sotchi, l'opération spéciale des forces russes en Crimée a été accueillie par les Russes comme la victoire de leur équipe de football favorite, aux cris de « La Crimée est à nous » et « Jamais nous ne lâcherons les nôtres ».
Expédiée en dix-neuf jours – les troupes russes sont intervenues le 28 février, la Crimée est devenue « sujet » de la Fédération le 18 mars – l'annexion de la presqu'île a déchaîné l'enthousiasme du public. Selon le Centre d'étude de l'opinion publique (VTsIOM), 90 % des Russes l'approuvent. Dans la foulée, la popularité de Vladimir Poutine s'élève à plus de 80 % d'opinions favorables, contre 60 % en janvier.
Le petit écran alterne l'alarmisme et l'euphorie. Toutes les chaînes publiques – Rossia 1, Rossia 2, Rossia 24 – ou privées – NTV, propriété de Gazprom, Ren-TV et la 5e chaîne, du milliardaire et ami de Vladimir Poutine Iouri Kovaltchouk – font la part belle à la pensée unique. La victoire de l'armée russe en Crimée est encensée tandis que l'Ukraine est dépeinte comme un « territoire » à la dérive, rançonnée par des bandes criminelles, la faute au « pouvoir fasciste de Kiev » qui s'en prend aux russophones, « les nôtres ».
RASMUSSEN « A LÉGALISÉ L'INCESTE »
Les commentateurs ne font pas dans la dentelle : « Les Européens sont les collaborateurs des nazis, la Russie est devenue le nouveau rempart du fasciste mondial », affirmait, dimanche 23 mars, Arkadi Mamontov, le présentateur vedette de Rossia 1. « Rappelez-vous que le secrétaire général de l'OTAN, ce Norvégien , a légalisé l'inceste du temps où il était premier ministre ». Quant à Arseni Iatseniouk, le premier ministre ukrainien, « son appartenance à l'Eglise de la scientologie lui assure le soutien des Américains », assénait deux jours plus tard le présentateur Boris Kortchevnikov sur la même chaîne.
Les reportages sur l'Ukraine n'ont aucun contenu informatif. Les images d'actualité sont mélangées à des extraits d'archives ou des fictions ; les commentaires sont outrageusement émotionnels. « L'Ukraine c'est des assassinats, une cruauté monstre, des armes partout », résumait, le 23 mars, la députée Irina Iarovaïa du parti pro-Kremlin Russie unie, interrogée par la chaîne publique Rossia 1. Vue de Moscou, l'Ukraine est peuplée de Russes et de fascistes. Jamais d'Ukrainiens.
CONSIGNES AUX RÉDACTIONS
La bonne parole descend tout droit du Kremlin. Chaque semaine, l'administration présidentielle fait distribuer aux rédactions les consignes à suivre (temniki en russe). Le journaliste Ilia Barabanov a publié sur sa page Facebook les ordres transmis aux télévisions pour la semaine du 28 mars au 6 avril.
Au chapitre « Lignes directrices du travail d'information sur l'Ukraine », il est recommandé de mettre l'accent sur les aspects suivants : « absence de loi, chaos, nazis aux postes clés de l'Etat, police tétanisée par la peur, déferlement de criminalité, économie au bord du gouffre… ». Pour la Crimée, c'est différent : « Faire la propagande des vacances d'été sur le thème : c'est proche, sécurisé, c'est chez nous ».
Courante à l'époque de l'URSS, cette pratique est révolue en Ukraine depuis 2004, au moment de la « révolution orange ». Les journalistes ukrainiens, ulcérés par la censure, les ordres de la présidence, les commandes des oligarques, ont envoyé promener les temniki, la subordination, la peur. La Russie a suivi le chemin inverse, renouant avec la propagande, la désinformation, l'autocensure.
« 5E COLONNE » ET « NATIONAUX-TRAÎTRES »
A Moscou, la moindre opinion dissidente est immédiatement stigmatisée. En témoignent les campagnes d'opinion récentes contre le rockeur Andreï Makarevitch, l'humoriste Viktor Chenderovitch, le professeur d'histoire Andreï Zoubov, la chaîne de télévision alternative Dojd, laquelle a perdu ses contrats de diffusion par câble pour une phrase jugée déplacée sur le siège de Leningrad en 1941. Les allusions récentes du président russe à la « 5e colonne » et aux « nationaux-traîtres » ne sont pas faites pour rassurer. « Après l'Ukraine, il s'en prendra à nous, les intellos récalcitrants », explique une professeur d'histoire qui ne veut pas que son nom soit mentionné. Un projet de loi en cours d'élaboration prévoit des condamnations envers les journalistes qui se risqueront à dépeindre sous un jour « négatif » les actions de l'armée et du gouvernement.
Grillant une cigarette avant son émission hebdomadaire à la radio Echo de Moscou, la chroniqueuse Evguenia Albats n'en revient pas : « Les gens croient dur comme fer à cette propagande. Ma propre soeur jumelle, une femme informée, est tombée dans le panneau. Il ne se passe pas un jour sans qu'elle ne me mette en garde contre le péril fasciste à Kiev ».
Pour Lev Goudkov, directeur du centre d'études de l'opinion Levada, « la machine de propagande a pris une ampleur sans précédent. Au début, les événements en Ukraine ont été présentés comme un complot de l'Occident contre la Russie, puis le thème du vide du pouvoir et de l'état désagrégé a pris le dessus. Il fallait préparer l'opinion à l'entrée éventuelle en Ukraine des troupes venues de Moscou ».
LE MONDE RUSSE ET L'ÉTRANGER
Ce déferlement de propagande cherche à rassembler le public russe autour d'un consensus xénophobe et agressif qui met en opposition « les nôtres » (le monde russe) et « l'autre » (l'étranger). Dans son discours du 18 mars, jour du rattachement de la Crimée à la Fédération, Vladimir Poutine a énoncé les deux nouvelles priorités de sa politique étrangère : la défense des Russes où qu'ils soient et la réparation de l'« humiliation » subie par la Russie de la part de l'Occident après l'effondrement de l'URSS.
Ces thèmes ont fait mouche. « Vladimir Poutine a enflammé la Russie et il faut reconnaître qu'elle brûle bien. Il a réveillé dans l'âme du peuple russe la bête qui y sommeillait », décrypte Vladimir Pastoukhov, professeur de sciences politiques au St Antony College d'Oxford, dans une analyse publiée par Novaïa Gazeta le 25 mars. « Cette bête s'appelle le messianisme russe. (…) Ses racines remontent à Byzance, à la Troisième Rome, au Panslavisme et à l'internationale communiste en fin de compte », poursuit le politologue, certain que « le messianisme restera la force motrice de l'Histoire russe ».
Commentaires:
Sirius 01/04/2014 - 12h23
"Les reportages sur l'Ukraine n'ont aucun contenu informatif. Les images d'actualité sont mélangées à des extraits d'archives ou des fictions ; les commentaires sont outrageusement émotionnels.". Que dire des articles du Monde sur la Russie ?
Alexandre Kastals 01/04/2014 - 20h10
Jean-François Kahn, Gabriel Mazneff, Jacques Attali, Hélène Carrère d'Encausse, Hubert Védrine, entre autres, se sont élevés récemment contre la présentation caricaturale quand elle n'est pas complètement mensongère qui était faite dans les médias françaisde la Russie en général et en particulier à l'occasion de la crise ukrainienne, . Visiblement ils n'ont pas été entendus
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