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La Russie débat de son avenir - Robert Skidelsky

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La Russie débat de son avenir - Robert Skidelsky Empty La Russie débat de son avenir - Robert Skidelsky

Message  Vivre Enrussie Lun 20 Sep 2010 - 14:23

20/09/2010 - http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/international/221131216/la-russie-debat-de-son-avenir

Il se dit souvent qu’il manque à la Russie une société civile. Mais elle compense partiellement cette lacune par une sphère publique particulièrement intéressante au sein de laquelle sont débattues des questions extrêmement sérieuses, et où les personnalités ne sont pas réduites aux bribes retransmises par la télévision.

YAROSLAVL – Deux réunions successives de groupes politiques russes majeurs ont eu lieu dans la première quinzaine de septembre : le Club d’échange Valdai et le Forum Politique Global. Le premier se déroula sur un bateau et se conclut par un dîner en présence du Premier ministre Vladimir Poutine à Sotchi, au bord de la mer Noire. Le second, à Iaroslavl, se conclut par un symposium en présence du Président Dmitri Medvedev. Des universitaires, des intellectuels, et des journalistes (Russes et étrangers) se sont donc réunis avec des dirigeants politiques et des hommes d’affaires afin de discuter de l’avenir de la Russie.

Trois éléments ont donné à ces évènements un caractère inhabituel et d’une manière typiquement russe. Le premier est l’incroyable intérêt médiatique que ces réunions ont soulevé. Le plus discret des universitaires a en effet pu se voir propulsé soudainement en star de la télévision russe.

Le second élément fut la volonté de Poutine et de Medvedev d’accepter de débattre publiquement avec des experts sur le terrain intellectuel de ces derniers. A ma connaissance, le seul dirigeant politique occidental récent ayant suffisamment d’assurance pour ce genre d’exercice était Bill Clinton.


Enfin, ces deux évènements ont révélé l’émergence de deux courants politiques rivaux, chacun distillant le parfum discret mais sans ambigüité d’un conflit latent. Aux yeux des observateurs aguerris, les deux conférences ont donné le fascinant aperçu d’une diarchie.

Les débats de la conférence de Valdaï se sont principalement concentrés sur la question de savoir si l’histoire et la géographie de la Russie la condamnaient irrémédiablement à un régime totalitaire. Si tant est que la Russie ait un avenir démocratique, était-elle en mesure d’accomplir ce destin ?

Les pessimistes – des historiens russes pour la plupart – ont prétendu qu’il serait très difficile pour la Russie, si non impossible, de surmonter son héritage autocratique. Selon Lev Belousov de l’université publique Lomonosov de Moscou, l’autocratie russe se relève toujours de ses cendres, tel le Phoenix, nourrie par la passivité et l’endurance russes. Les Bolchéviks ont hérité de l’autocratie des Tsars ; Poutine a déterré le vieux principe monarchique de désignation de son successeur, outrepassant ainsi le principe démocratique de course à la présidence.

Les radicaux, comme Vladimir Ryzhkov, ont rejeté ce déterminisme historique. Selon eux, les Russes ne devraient par simplement légitimer l’autoritarisme du seul fait de l’histoire. Les protestations se firent plus vives. C’est bien le joug de Poutine, et non celui de l’histoire, qui a si lourdement pesé sur la Russie.

Les débats ont été globalement confus, comme c’est souvent le cas en de telles circonstances. La plupart des participants ne parvenaient pas à faire la distinction entre contrainte historique et déterminisme historique. Aucune nation, ou civilisation, ne peut totalement transcender son histoire : mais chaque histoire offre un grand choix de possibilités différentes. Les nations ne sont pas, comme les animaux, programmées génétiquement.

La question du totalitarisme était inévitablement rattachée à d’autres. Le totalitarisme en Russie a toujours été légitimé comme étant impératif à l’empire. Mais cela entraine une autre question : la Russie a-t-elle besoin de l’empire ? La Russie peut-elle renoncer à son passé impérial et accepter de normaliser ses relations avec ses voisins tout récemment rendus à l’indépendance comme l’Ukraine et la Géorgie ? Peut-elle effectivement être un acteur ordinaire ou normal de la scène internationale ?

A la réunion de Iaroslavl et en présence de Medvedev, le cour des débats s’est concentré sur le lien entre démocratie et modernisation. Il a été globalement admis que la Russie doit diversifier son économie pour ne pas dépendre uniquement de ses ressources énergétiques. Et comme l’a précisé Medvedev, une économie centrée sur ses matières premières demeure toujours vulnérable à la volatilité des prix.

Mais deux courants se sont distingués sur la relation entre modernisation politique et modernisation économique. Pour Poutine, la démocratie découle d’une économie moderne, une sorte de récompense pour le dur travail fourni. Si l’état encourage la modernisation par le haut, la démocratie évoluera naturellement, même si lentement, en conséquence de la prospérité croissante et du développement d’une classe moyenne. Le principal idéologue du Kremlin, Vladislav Surkov, a suggéré qu’une démocratie complète présuppose « une démocratie dans la tête, » sous-entendant qu’il y avait encore un long chemin à parcourir pour que la Russie assume ce type de mentalité.

La vision alternative, défendue par des personnes comme Igor Yurgens, à la tête du groupe de réflexion favori de Medvedev, l’Institut pour le Développement Contemporain, est que la démocratie est une condition préalable à la modernisation économique. Ils appuient leur argument sur le fait que l’état russe, tel qu’il est constitué aujourd’hui, n’a aucune réelle volonté de remettre en question ses mauvaises habitudes économiques, ni celles des Russes.

Les preuves sont là. La Russie connaît une reprise modérée suite à la récession. Mais l’innovation est faible, les élites se contentant de vivre confortablement des rentes énergétiques et rien n’est fait contre la corruption. Poutine est le dirigeant fort d’une nation faible, qui, manquant de mécanisme de mobilisation ou de réactivité, est incapable de porter un projet de modernisation.

Il y a un fossé évident entre la vision de Poutine et celle de Medvedev. Medvedev est loin d’être la marionnette de Poutine. Ils pensent tout deux que la démocratisation arrivera tôt ou tard ; bien que Poutine penche plutôt pour la seconde option tandis que Medvedev a ajouté une dose de libéralisation au discours officiel de la Russie. Les cyniques estiment simplement que tout ceci n’est qu’une stratégie trompeuse ‘du gentil et du méchant flic’. Mais les mots sont importants et la nouvelle rhétorique est une force politique à part entière.

En outre, l’objectif stratégique de Medvedev doit être d’assurer un second mandat de président. Il ne peut ouvertement remettre en question l’héritage de Poutine, mais il doit se positionner comme ayant une vision au-delà de Poutine lui-même. C’est un jeu d’adresse délicat car Poutine peut toujours prétendre à nouveau à la présidence s’il considère que son ancien protégé a l’intention de démanteler le régime autoritaire qu’il a créé.

Dix-neuf ans après la chute du communisme, l’orientation de la Russie demeure plus trouble que jamais. Cela est l’affaire des Russes, mais, parce que la Russie englobe largement les terres eurasiennes, le manque de clarté sur son avenir fait peser sur l’ensemble d’entre nous une crainte permanente.

La Russie fait-elle partie de l’Occident ? Son histoire et sa géographie la dote-t-elle d’une vision spécifiquement eurasienne capable d’agir en tant que médiateur entre les civilisations occidentales et eurasiennes, ou entre Christianisme et Islam ? La Russie ne s’imbrique pas parfaitement dans les cases géopolitiques, mais elle n’en reste pas moins trop importante pour être ignorée.

Par Robert_Skidelsky
Economiste britannique d'origine russe. Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats


Dernière édition par Arthur le Lun 20 Sep 2010 - 15:50, édité 1 fois

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Message  Invité Lun 20 Sep 2010 - 14:50

Papier fort intéressant Very Happy

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Message  Invité Lun 20 Sep 2010 - 15:52

Arthur a écrit:20/09/2010 - http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/international/221131216/la-russie-debat-de-son-avenir


...
Enfin, ces deux évènements ont révélé l’émergence de deux courants politiques rivaux, chacun distillant le parfum discret mais sans ambigüité d’un conflit latent. Aux yeux des observateurs aguerris, les deux conférences ont donné le fascinant aperçu d’une diarchie.

Les preuves sont là. La Russie connaît une reprise modérée suite à la récession. Mais l’innovation est faible, les élites se contentant de vivre confortablement des rentes énergétiques et rien n’est fait contre la corruption. Poutine est le dirigeant fort d’une nation faible, qui, manquant de mécanisme de mobilisation ou de réactivité, est incapable de porter un projet de modernisation.

Il y a un fossé évident entre la vision de Poutine et celle de Medvedev. Medvedev est loin d’être la marionnette de Poutine. Ils pensent tout deux que la démocratisation arrivera tôt ou tard ; bien que Poutine penche plutôt pour la seconde option tandis que Medvedev a ajouté une dose de libéralisation au discours officiel de la Russie. Les cyniques estiment simplement que tout ceci n’est qu’une stratégie trompeuse ‘du gentil et du méchant flic’. Mais les mots sont importants et la nouvelle rhétorique est une force politique à part entière.

En outre, l’objectif stratégique de Medvedev doit être d’assurer un second mandat de président. Il ne peut ouvertement remettre en question l’héritage de Poutine, mais il doit se positionner comme ayant une vision au-delà de Poutine lui-même. C’est un jeu d’adresse délicat car Poutine peut toujours prétendre à nouveau à la présidence s’il considère que son ancien protégé a l’intention de démanteler le régime autoritaire qu’il a créé.
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Par Robert_Skidelsky
Economiste britannique d'origine russe. Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

"Vladislav Surkov, a suggéré qu’une démocratie complète présuppose « une démocratie dans la tête, » sous-entendant qu’il y avait encore un long chemin à parcourir pour que la Russie assume ce type de mentalité. "

Je ne suis par contre pas certain de l'opposition si fondamentale entre DAM et VVP sur le fond et la forme, l'avenir nous dira si je me trompe ou pas ..

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