Les quatres raisons de s’attacher la Russie - BERNARD GUETTA
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Les quatres raisons de s’attacher la Russie - BERNARD GUETTA
03/03/2010 - www.liberation.fr/monde/0101622328-les-quatre-raisons-de-s-attacher-la-russie
Cela ne pouvait être que cela. Aux yeux des russologues occidentaux, ce Vladimir Poutine qui avait écrasé la Tchétchénie, cette brute, cet ancien espion qui avait mis les services secrets aux commandes de son pays, ne pouvait avoir intronisé qu’un autre lui-même, une doublure à ses ordres.
Universitaires ou journalistes, ils s’étaient donc accordé à ne voir en Dmitri Medvedev qu’une «marionnette» dont les plaidoyers en faveur de l’Etat de droit ou d’un rapprochement avec l’Europe et les Etats-Unis n’étaient pas dignes de leur attention. Marionnette, vous dis-je. Marionnette, allaient-ils répétant sans se laisser troubler par les faits - pas plus par la constance des déclarations du nouveau Président que par son profil de juriste, entré dans l’âge adulte après l’effondrement soviétique, intimement lié aux milieux d’affaires et nullement à l’ancien KGB.
Non seulement cela ne leur importait pas mais ils ne s’étaient jamais demandé ni pourquoi le Président sortant n’avait pas brigué un troisième mandat consécutif en modifiant la Constitution ni pourquoi il n’avait pas plutôt fait élire un de ses camarades des services.
Marionnette, martelaient-ils, tout à l’idée que la Russie serait un pays génétiquement programmé pour la dictature, qui n’en serait sorti, sous Mikhaïl Gorbatchev, que par un accident de l’histoire avant d’être revenue, sous Vladimir Poutine, à son destin naturel.
Eh bien, non ! A la fin des années 90, tout entière ou presque, la Russie a aspiré au retour d’un Etat fort parce qu’elle voulait faire rendre gorge aux mafieux qui l’avaient dépossédée de ses richesses sous couvert de privatisations, qu’elle ne voulait plus céder un pouce de territoire après avoir perdu l’empire qui était le sien depuis les tsars et qu’elle avait été trompée par les Occidentaux qui s’étaient engagés à ne pas utiliser la chute du Mur pour étendre l’Otan.
Après les années Boris Eltsine, la Russie a connu une crispation nationaliste sur laquelle a prospéré la régression autoritaire organisée par Vladimir Poutine. Après de tels reculs, tout autre pays aurait évolué de la même façon mais, régression politique ou pas, les classes moyennes nées du passage à l’économie de marché n’aspirent qu’à un mode de vie occidental, la Russie a besoin de développer ses échanges internationaux pour assurer sa modernisation et ce n’est pas de l’Occident qu’elle a peur mais de la Chine et du monde musulman, des deux voisins orientaux auxquels elle est confrontée en Sibérie, dans le Caucase et en Asie centrale.
Tout comme Vladimir Poutine l’avait été, Dmitri Medvedev est porté par des réalités socio-économiques et politiques parfaitement claires.
Il n’a pas été placé au Kremlin par hasard mais parce que le pouvoir russe repose sur une convergence des milieux d’affaires et des services secrets, sur une même volonté de stabilisation mais des cultures et des intérêts divergents, et que l’argent ne voulait ni que Vladimir Poutine s’installe dans une présidence à vie ni que son successeur ne vienne des services. L’argent voulait son homme après celui des services, un modus vivendi avec l’Ouest et une relativisation de l’arbitraire qui assurent sa sécurité et lui ouvrent des marchés.
C’est le tournant que Dmitri Medvedev tente de négocier, avec une prudence obligée mais toujours plus d’audace et de détermination. Son succès n’est nullement assuré puisque les services restent plus puissants que l’argent mais, maintenant que les purges et les nominations décidées par ce jeune Président ont fini par convaincre la russologie qu’il n’était pas qu’une marionnette, se pose une autre question.
Faut-il, ou non, se rapprocher de la Russie, non pas telle que la voudrait Dmitri Medvedev mais telle qu’elle est toujours, aux mains d’hommes n’ayant à rendre compte ni de leur corruption ni des assassinats d’opposants ? A Washington comme à Paris, le débat monte. Barack Obama et Nicolas Sarkozy sont, l’un comme l’autre, accusés de sacrifier les droits de l’homme sur l’autel de la realpolitik mais c’est eux qui ont raison, pas André Glucksmann.
Il faut s’allier à la Russie, et pas seulement car, à refuser les ouvertures de son Président, on favoriserait les tenants d’un statu quo détestable contre les avocats d’une évolution souhaitable. Il faut le faire, aussi, parce que la Russie est indispensable à la solution des crises internationales les plus brûlantes, que l’Europe et les Etats-Unis ont tout intérêt à l’attirer à leurs côtés plutôt qu’à la rejeter vers la Chine et que la stabilité et l’affirmation économique de l’Europe passent nécessairement par la coopération de l’Union européenne et de la Fédération de Russie, les deux piliers du continent.
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