L’Ukraine : Une démocratie en trompe-l’œil et un pays fracturé.
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L’Ukraine : Une démocratie en trompe-l’œil et un pays fracturé.
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http://www.les-crises.fr/analyse-des-experts-ukraine/
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Depuis un an les médias nous imposent l’image d’une Ukraine coupée en deux :les pro-occidentaux « les gentils » ( défenseurs de la démocratie et de la liberté) et de l’autre, les pro-russes « les méchants » ( pourfendeurs de ces valeurs universelles).Cette approche manichéenne des choses ne semble pas tenir compte de la réalité et de la complexité de l’histoire du pays.
Le peuple ukrainien est multiple et son histoire est marquée par des héritages successifs. Les ukrainiens, russes et biélorusses ont eu un berceau commun la Principauté de Kiev ( la Rus’ Kiévienne) fondée au IX ème siècle. Par la suite les parcours ont divergé. L’ouest a longtemps été lié au Grand Duché de Luxembourg, aux royaumes polonais, à l’Empire Austro-hongrois. L’est a plutôt été lié à la Russie et son histoire se confond quasiment avec celle de cette dernière depuis plus de trois siècles. La région du centre est un mélange des courants est-ouest. Aux XIX ème siècles des migrants de tout l’empire russe se sont installés en Ukraine. Le XX ème siècle fut particulièrement meurtrier. A l’issue de la première guerre mondiale, la guerre civile qui dura plus de quatre ans laissa l’Ukraine exsangue. La deuxième guerre mondiale y fit des millions de victimes. La collaboration des nationalistes ukrainiens avec les nazis avant et pendant le conflit fractura durablement le peuple. Les grandes famines dont les causes sont particulièrement controversées ne furent définitivement éradiquées qu’en 1948.
Suite à la dislocation de l’URSS, l’Ukraine devient indépendante en 1991. Dès le début, ce fut le bras de fer entre le gouvernement de Kiev et la Crimée russophone qui revendiquait une autonomie administrative et politique au sein de l’l’Ukraine ; Il faudra attendre janvier 1999 pour qu’une constitution soit ratifiée par les parlements de Kiev et de Crimée. La révolution orange de 2004, soutenue par les gouvernements occidentaux marque un rapprochement de l’Ukraine avec l’OTAN et l’Union Européenne. Les ONG américaines ont largement contribué au financement de cette révolution. Depuis 1991 le pays connaît une grande instabilité politique. Les privatisations du secteur industriel, la montée en puissance de l’oligarchie, la corruption, la destruction de l’Etat ont plongé le pays dans une crise sans précédent. L’Ukraine perd 10% de sa population (migrations, baisse de natalité …).
Toutes les élections sont marquées par de fortes distorsions entre l’Est russophone et l’Ouest plutôt pro-occidental. Le marasme économique exacerbe les nationalismes. Certains regrettent le temps de l’URSS, d’autres envient ou jalousent le boom économique de leur voisin russe depuis dix ans et nombreux sont ceux qui se tournent vers l’Europe pensant que le « miracle » viendra de là.
Il y a un an, le 21 Novembre 2013, commencent les manifestations place Maïdan à Kiev. L’Ukraine, en récession, proche du dépôt de paiement, cherche un financement soit auprès de la Russie soit auprès de l’Europe. La Russie propose, entre autres, un prêt sans conditions. L’Europe propose une aide financière (en fait un prêt) conditionnée par des réformes dites structurelles (privatisations, diminution des dépenses publiques, baisse des pensions…) Après maintes tergiversations, le Président annonce qu’il ne signera pas l’accord d’association avec l’Europe. Les manifestants reprochent au Président de se détourner de l’Union Européenne et d’être dépendant de Moscou. Ils dénoncent aussi la corruption généralisée. Très rapidement, les partis d’opposition et les partis ultranationalistes s’y associent. Deux mouvements néo-nazis, Svoboda (Liberté !) et Pravy-Sektor (secteur droit) sont présents parmi les manifestants et se rendent très vite indispensables pour assurer le service d’ordre. Les Etats –Unis, très présents dans le pays, à travers leurs ONG, et les européens soutiennent activement le mouvement. Les milices ultranationalistes gagnent du terrain, elles occupent des mairies dans tout le pays. Des semaines de chaos aboutissement en février 2014 à la chute du gouvernement par la violence, on peut la qualifier de putsch. La boite de Pandore est ouverte. Le gouvernement provisoire de Iatseniouk, pro-européen et libéral, ne contient aucun membre de l’ancien parti au pouvoir (le Parti des Régions), aucun membre de la gauche et fait la part belle aux ultra-nationalistes. Des milices paramilitaires supppléent la police. L’Etat de droit, ou ce qu’il en reste, est mis à mal. Cependant, le renversement d’un gouvernement élu et la nouvelle idéologie nationaliste et libérale ne semblent pas séduire toute la population. Dès sont arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement abolit la loi sur les langues régionales (elle concerne surtout le russe) et supprime la loi qui interdit la propagande du fascisme en Ukraine. Cela met le feu aux poudres. Très rapidement les troubles qui avaient éclaté dans les régions du Sud d et de l’Est prennent de l’ampleur. Ces régions contestent la légitimité du nouveau gouvernement. La Crimée, russophone, dont les relations politiques avec Kiev étaient difficiles depuis 1991, souhaite retourner dans le giron russe. Un référendum, non approuvé par Kiev et les occidentaux, le permettra le 16 Mars 2014. La Russie et certains observateurs avisés, pensent que l’Ukraine doit se fédérer et qu’il faut élaborer avec l’ensemble des Ukrainiens une nouvelle constitution qui tienne compte des identités linguistique et culturelle des régions. Le gouvernement de Kiev, soutenu ou plutôt téléguidé par les occidentaux reste sourd à ces propositions. Il déclenche en Avril 2014 une opération « antiterroriste » contre les rebelles. Le ton est donné. On ne négocie pas avec des » terroristes ». La Russie est accusée de soutenir ces derniers. La tension monte entre la Russie et les Occidentaux qui pensent régler le problème en infligeant des sanctions économiques à cette dernière. Dans un climat délétère, une élection présidentielle est prévue le 25 Mai 2014. A l’est les combattants se radicalisent. Deux régions font sécession : la République populaire de l’Ougansk, et la République Populaire de Donetsk. Les combats cesseront le 25 Mai jour de l’élection présidentielle. Le nouveau Président, Porochenko intensifie l’opération « anti-terroriste », il engage l’aviation et l’artillerie. Le pays est engagé dans une guerre civile qui fera près de 4300 morts en 6 mois.
Malgré la signature d’un accord de cessez – le- feu à Minsk le 16 septembre 2014 près de 800 personnes sont tuées (ONU 20/11/2014) Dans ce contexte, des élections législatives sont organisées le 26 Octobre 2014. Le lendemain, dans la presse, on parle d’une « écrasante victoire des pro-occidentaux aux législatives en Ukraine » (Le Monde). Libération/Monde titre : « la Nation ukrainienne est née ».L’union européenne qualifie les résultats de « victoire de la démocratie et du programme de réformes européennes ». Il est hasardeux de considérer que ces élections sont le choix de tout un peuple. Près d’un habitant sur deux n’a pas voté (moins d’un sur deux si on tient compte du fait qu’il n’y a pas eu d’élections dans les circonscriptions de Donetsk et Lougansk). Des millions d’Ukrainiens n’ont pas voté par manque de choix. Les partis de gauche (parti communiste et parti socialiste) sont diabolisés. Depuis l’exclusion des députés communistes par le Parlement au mois d’Août 2014, le parti communiste vit quasiment dans la clandestinité. Le Parti des régions, (celui de l’ancien Président Ianoukovitch) est discrédité. Faute de financement des partis politiques, les oligarques jouent un rôle majeur. Moins de deux semaines avant les élections, afin de donner des gages aux ultranationalistes, le Président institue par décret la fête du Défenseur de l’Ukraine qui sera célébrée le 14 Octobre. Cette fête commémore la création de l’Armée Insurrectionnelles d’Ukraine en 1942. Le 14 Octobre des marches néo-nazies, autorisées, se sont déroulées dans plusieurs grandes villes d’Ukraine. Les héros des résistances nationales impliquées dans les massacres des populations civiles juive, tsigane, polonaise et russe y sont célébrés. Page 3 sur 3Les partis du Président Porochenko et de son premier ministre totalisent près de 44 % des bulletins de vote. Ils devront donc «s’entendre » avec les partis nationalistes qui ont fait des scores non négligeables. Le parti du maire de Lviv, « Aide –toi par toi-même » obtient 11% des voix. Le Parti très radical d’Oleg Liachko obtient 7,5% des voix. Le parti de Ioulia Timochenko obtient 5,7 % des voix. Certes les partis Svoboda et Pravy Sektor n’ont pas franchi la barre des 5%, mais de nombreux Ultranationalistes se sont fait élire sous des bannières moins voyantes. Le Parti des Régions obtient 9,4% des voix. Le Parti communiste, dont les électeurs se concentraient surtout dans les régions du sud-est n’atteint pas la barre de 5 %.Il avait obtenu 13% des voix en 2012. Les grands vainqueurs de ces élections sont les oligarques régionaux. Il est dont assez indécent de parler d’une victoire de la démocratie.
Un an après le début des manifestations, place Maïdan à Kiev, on pourrait être tenté de dire : « Tout ça pour ça ! » et avec Noam Chomsky, à propos du traitement des informations et du soutien apporté par l’Europe et les Etats Unis à la nouvelle politique Ukrainienne : «La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures»
Annick Novak Albi,
4 Décembre 2014
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