Ukraine : non, Poutine ne veut pas reconquérir l'Europe de l'Est
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Ukraine : non, Poutine ne veut pas reconquérir l'Europe de l'Est
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/02/11/31002-20150211ARTFIG00384-ukraine-non-poutine-ne-veut-pas-reconquerir-l-europe-de-l-est.php
Ancien élève de l'École spéciale militaire de St-Cyr puis de l'École des officiers de la Gendarmerie nationale, Hadrien Desuin est titulaire d'un master II en relations internationales et stratégie sur la question des Chrétiens d'Orient, de leurs diasporas et la géopolitique de l'Égypte, réalisé au Centre d'Études et de Documentation Économique Juridique et social (CNRS/MAE) au Caire en 2005. Il a dirigé le site Les Conversations françaises de 2010 à 2012. Aujourd'hui il collabore à Causeur et Conflits où il suit l'actualité de la diplomatie française dans le monde.
Les dernières avancées pro-russes dans l'est de l'Ukraine réactivent les craintes de troisième guerre mondiale chez les plus fébriles des atlantistes, de droite comme de gauche. Comme souvent, les comparaisons faciles avec le spectre de l'Allemagne des années 30 fleurissent. C'est plutôt vers la grande tradition de la politique étrangère russe basée sur la conservation des fondamentaux territoriaux qu'il faudrait se tourner: préserver un glacis protecteur à l'ouest de Moscou et un accès maritime au nord comme au sud. Alimenté par la peur d'un encerclement, Poutine cherche simplement à maintenir un contrôle sur l'Ukraine. Mission périlleuse depuis que la révolution de Maïdan s'est jetée dans les bras américains.
Le soutien, évident mais limité, accordé aux séparatistes du Donbass (leur indépendance n'a pas été reconnue) prouve que la politique poutinienne est au contraire rationnelle. Elle ne cède pas aux fièvres nationalistes de son opinion publique. Elle s'appuie sur un principe central: l'intérêt de la Russie. Il ne s'agit pas de reconquérir l'Europe de l'est comme les pays polono-baltes le craignent, ou de succomber à une crise d'autisme comme le suggère les américains, mais de conserver son influence sur l'«étranger proche».
S'il était seulement guidé par une soif de conquête, Poutine aurait en quelques jours enfoncé l'armée ukrainienne et occupé Kiev sans que personne ne bouge en Europe et aux États-Unis. Les successeurs de Staline le firent à Budapest et à Prague et les alliés se contentèrent de protestations verbales. Une occupation militaire sous la contrainte serait stérile. Dans le Donbass, Poutine se contente donc de défendre l'insurrection pro-russe sous la menace de l'armée ukrainienne. L'objectif est de conserver une tutelle et un levier de négociation au sein même d'une confédération ukrainienne. Et surtout d'empêcher son voisin de rejoindre l'Union européenne et l'Otan, deux lignes rouges pour le Kremlin. Or, détacher l'Ukraine de l'Empire russe est une obsession américaine, théorisée il y a déjà quelques années par le brillant stratège et ancien conseiller à la sécurité de Jimmy Carter d'origine polonaise, Zbigniew Brzrezinski, dans Le grand échiquier. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un Empire. Elle cesse d'être une menace pour l'hégémonie des États-Unis.
En théorie, il n'est pas dans l'intérêt non plus de l'Europe d'avoir une Russie trop forte à ses frontières. En pratique, l'Europe occidentale est tellement affaiblie militairement qu'elle ne peut avoir de politique de containment vis-à-vis de la Russie sans tutelle américaine. Si l'Europe n'a pas de raison d'être soumise à la domination russe, elle n'a pas non plus de raison de se soumettre aux injonctions américaines. Aujourd'hui ses moyens sont si faibles qu'elle n'a pas d'autre choix que de jouer les médiateurs entre Washington et Moscou.
En 1856 à Sébastopol, l'Europe occidentale coalisée avait les moyens de s'engager en Russie. L'Europe contemporaine est si démilitarisée qu'elle ne peut plus envisager une guerre conventionnelle. Souhaitée par certains faucons démocrate ou républicain, la livraison d'arme à une armée ukrainienne à la dérive ne ferait qu'attiser l'agressivité russe et mènerait à une escalade dangereuse pour nos armées. Celles-ci sont réduites à quelques corps expéditionnaires chargés de prêcher les droits de l'Homme dans des contrées exotiques. Elles ne sont pas faites pour soutenir le combat frontal imaginé dans les années 80. A moins de jouer les supplétifs du Pentagone. L'armée rouge a vieilli au début des années 90 mais, depuis quinze ans, ses budgets ne cessent d'augmenter quand les nôtres s'évaporent. Bâties pour des conflits asymétriques, nos armées européennes sont incapables d'aligner un volume de force comparable à l'armée russe. Laquelle s'est reconstruite et s'est mesurée à des conflits très durs en Tchéchénie, en Géorgie et aujourd'hui en Ukraine.
Les rêveries européennes en Ukraine ont d'ores et déjà entraîné beaucoup de dégâts. Et un énième cessez-le-feu négocié à Minsk n'y changera rien. Quant aux sanctions économiques, elles font l'effet d'une piqûre d'épingle sur un ours, analyse justement François Fillon. Il est donc temps de signer un vrai accord de paix pour régler définitivement le problème russophone en Ukraine orientale.
Une large autonomie, y compris militaire, sous double surveillance russe et européenne est nécessaire dans le Donbass.
Pour cela la diplomatie européenne doit convaincre les américains et Porochenko d'entamer des discussions directes avec les séparatistes. Ce qui équivaut à les reconnaître. Une large autonomie, y compris militaire, sous double surveillance russe et européenne est nécessaire dans le Donbass, sinon ce sera un scénario comparable à l'Ossétie et l'Abkhazie. Nicolas Sarkozy, qu'on a connu plus atlantiste, a fait preuve une nouvelle fois de sa capacité à faire bouger les lignes. Pour l'ancien président, il faut mettre dans la balance la reconnaissance de l'annexion de la Crimée, l'impossibilité pour l'Ukraine d'intégrer l'OTAN et l'UE. Des concessions très rudes pour une Ukraine à genoux. Mais elles sont légères au regard de ce que pourrait subir ce pays dans quelques mois, s'il continue à s'entêter dans un combat inégal face à la Russie.
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