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Armer l'Ukraine ? Le risque de l'escalade

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Message  Vivre Enrussie Mer 4 Fév 2015 - 21:31

Armer l'Ukraine ? Le risque de l'escalade
http://www.marianne.net/ukraine-risque-escalade-030215115727.html

Marianne : Depuis la semaine dernière, de nombreux médias, experts en relations internationales ou hommes politiques, en France et aux Etats-Unis, jugent nécessaire de livrer des armes à l’Ukraine pour combattre les rebelles, estimant que seul un rétablissement du rapport de force sur le terrain permettrait de contraindre la Russie à un compromis. Que vous inspire ce raisonnement ?
Yves Boyer : C’est un drôle d’argument parce que, quand les canons sont déjà sortis, pour rétablir le rapport de force il faut armer la partie faible, mais rien ne garantit que l’équilibre qui nous convient sera le même que celui qui convient à Kiev. Politiquement, le leadership est compliqué à Kiev entre le président Porochenko et son Premier ministre Iatseniouk.
Ensuite, quand on combat des « terroristes » puisque c’est ainsi que sont qualifiés les rebelles pro-russes à Kiev, on les éradique. Il n’est pas question de trouver ce que nous appelons, nous, un « équilibre ».
Enfin, compte tenu de l’état de la situation dans la région du Donbass, je vois mal comment les deux parties pourraient se raccommoder. La guerre civile a fait beaucoup de dommages humains et matériels de part et d’autre. Si le but est de reprendre tout le terrain conquis par les « terroristes » dans la région Donbass, cela demandera de longs combats où il y a justement des Russes d’où un risque encore plus grand d’escalade.

Quelles difficultés poseraient la livraison d’armes aux forces ukrainiennes ?
Si on fournit du matériel, il faudra d’abord apprendre aux armées ukrainiennes à s’en servir. Cela demande du temps. Sans compter que l’ « arme » ukrainienne n’est pas dans un très bon état. Cela ressemble moins à une armée organisée qu’à des gens qui lèvent des bataillons, dont certains sont ouvertement néo-nazis, ce que l’on fait semblant de ne pas voir. Quand à leur passer des systèmes perfectionnés de brouillage de radio-télécommunications, il faudrait le faire avec parcimonie car s’ils tombent aux mains des rebelles, donc des Russes, cela signifierait donner des technologies aux Russes.
Je vous passe enfin les difficultés économiques qu'entraînerait une entrée dans un conflit long car je ne suis pas spécialiste, mais l’Ukraine est proche du défaut du paiement.

Les Russes pourraient-ils se sentir autorisés à entrer, eux aussi, ouvertement dans le conflit en cas d’implication militaire occidentale ?
Tout ça se passe aux portes de la Russie et les Russes peuvent estimer, à un moment donné, qu’il y a un double effet destiné à les mettre à terre : les sanctions qui ont un effet sur son économie et une volonté d’extension de l’OTAN à l’Ukraine qui porte atteinte à ses intérêts vitaux. On a beaucoup tendance à personnaliser ce conflit à un combat contre Poutine. La Russie est un grand pays et ce pays considère qu’il a parfois, dans sa sphère d’influence, des intérêts vitaux à défendre. Et quand une puissance nucléaire commence à s’échauffer cela devient dangereux. Une aide logistique occidentale massive pourrait légitimement pousser les Russes à aider encore plus les gens du Donbass avec des moyens pour prendre tout le territoire que l’on appelle Novorossia, voire à entrer dans un affrontement direct. A nier la réalité de l’autre, on commet des erreurs. On appelle la menace « Poutine » parce que c’est confortable, cela donne une cible, mais les Russes ont des intérêts, on ne peut pas considérer que les dynamiques que l’on encourage sont sans effet sur Moscou. Moscou peut juger ces dynamiques extraordinairement menaçantes. Sans compter qu’il y a aussi des éléments de politique intérieure américaine non négligeables.

C’est-à-dire ?
Ces prises de positions américaines se multiplient depuis la parution d’un rapport publié par le think tank Atlantic council qui détaille l'aide militaire à fournir l'Ukraine. Cela fait partie des think tanks américains qui se comportent comme des lobbys à Washington et qui ont de l’influence. Ces dernières années, dans leurs colloques, les Polonais et les représentants des pays baltes étaient toujours bien représentés. Mais il y a d’autres moyens de pressions que l’on observe mal en France mais qui ont leur importance. Les migrants originaires de ces pays sont très présents dans le corps électoral américain, notamment en Pennsylvanie et les états-majors politiques américains sont toujours attentifs à ce type de paramètres. Enfin, il y a un complexe militaro-industriel qui a besoin d’un « projet d’entreprise », et qui est largement intéressé par l'idée qu’il y ait toujours une grande menace à venir. Tous ces paramètres participent du durcissement de la position américaine.  

Faut-il donc ne rien faire alors que la plupart des observateurs constatent une montée en puissance des rebelles et des combats de plus en plus violents ?
Les combats n’ont jamais cessé, ce sont toujours des duels d’artillerie, des soldats qui font des opérations que l’on appelle « de sabotage et de reconnaissance ». D’un point de vue militaire, c’est assez classique. Les forces ukrainiennes ont voulu lancer une nouvelle offensive sur une localité stratégique. Ils ont été pris de court par les rebelles qui ont stoppé la progression des militaires et s’emploient maintenant à fermer la poche de Debaltsevo où les combats sont très violents en ce moment.

Croyez-vous encore à une solution politique ?
Ce qui me gêne le plus, c’est justement l’absence totale de l’Europe qui est potentiellement menacée d’un drame. Elle est complètement alignée sur la position américaine qui veut la peau de Poutine et la position des Polonais et des pays baltes qui veulent aussi la peau de Poutine, mais où il y a plus généralement un vieux ressentiment contre les Russes.
Les Européens n’ont fait qu’encourager les Ukrainiens. Où est la politique française ? Il faut que les Français se bougent. On ne peut pas toujours être à la remorque du Congrès américain. Il faut imaginer des outils politiques et diplomatiques pour nouer le dialogue, définir un agenda, un modus de négociation qui permette d’obtenir des résultats diplomatiques. Ce n’est pas en envoyant des missiles anti-chars qu’on aide à la solution d’un conflit. Toute la guerre froide a été tendue, mais on a su maintenir une règle du jeu. Les dirigeants occidentaux actuels ont complètement oublié qu’entre puissances nucléaires, on ne va pas au-delà d’un certain seuil d’attitude négative. Les diplomates sont chargés de trouver les voies et moyens de sortir d’une crise. Pas d’entrer en guerre.

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