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A l'Est de l'Ukraine, un point de non retour?

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A l'Est de l'Ukraine, un point de non retour? Empty A l'Est de l'Ukraine, un point de non retour?

Message  Vivre Enrussie Ven 26 Sep 2014 - 12:19

http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140925trib000850514/a-l-est-de-l-ukraine-un-point-de-non-retour.html

Malgré une situation encore très fragile dans l'Est du pays, les « séparatistes » et derrière probablement la Russie sortent gagnants de la bataille du Donbass. Une grande partie des populations des zones occupées ne veulent plus entendre parler de l'Ukraine.
Quand on interroge les habitants du Donbass, où forces séparatistes et loyalistes s'affrontent encore en dépit d'un « cessez-le-feu » jamais respecté, ils citent généralement trois sentiments : la crainte, la colère et l'espoir. A Marioupol, la crainte : celle de voir le retour des combats après les événements tragiques du mois de mai, alors que les forces anti-gouvernementales sont toujours à quelques encablures de la ville.

A Donetsk, la colère : particulièrement dans les quartiers nord, pris en otage des combats entre forces loyalistes et gouvernementales et pilonnés par cette dernière - quartiers Kalininsky, Kirovsky et Kivski. A Slaviansk, l'espoir : celui d'un retour à la vie normale, après des semaines de blocus, de pénuries, d'exactions et de représailles des deux camps. La capitale régionale, Donetsk, est une ville fantôme : sur la grande avenue Artem, généralement connue pour ses embouteillages, quelques rares voitures, surtout de séparatistes déferlant à tombeau ouvert, feux clignotants allumés.

La moitié des habitants de Donetsk déplacés
On estime généralement à 500 000, soit la moitié des habitants de Donetsk, le nombre de déplacés. Les locaux - pas toujours très mesurés sur la question - évoquent davantage 70, voire 80%. L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés dénombre 400 000 réfugiés déclarés du Donbass. A l'ambassade de France à Kiev on parle carrément de six à sept millions de personnes sur les huit millions de la région. Dans le nord de la ville, de nombreuses usines, comme l'usine de pain de Zasiadka, sa mine de charbon et les infrastructures de gaz ont été bombardées. Les immeubles résidentiels montrent des trous béants. Début septembre, le petit marché de la rue recevait une salve, où huit civils périssaient dans les projections d'éclats de métaux. Les murs criblés de trous de diamètre allant de la taille d'une bille à celle d'une balle de hand conservent les traces.

Des morts, surtout civils
On estime aujourd'hui à 2700 le nombre de morts dans le conflit. Principalement des civils, quasi-exclusivement du Donbass. Des chiffres proches de l'opération « Bordure protectrice » à Gaza, pour laquelle beaucoup se sont émus. Si comparaison n'est pas raison, on peut toutefois se demander pourquoi les Ukrainiens de l'Est ne mérite pas pareille empathie. Les formules laconiques des dirigeants occidentaux et les tournures alambiquées de nombreux commentateurs contrastent avec les indignations des évènements non moins tragiques du Maïdan, quand plus de 80 civils avaient perdu la vie en février. A part les rapports des quelques journalistes sur place, la plupart des commentaires ont grandement éludé la question des victimes de cette crise.


Une région légalement ukrainienne mais culturellement russe
Il y a une réalité qui s'impose quand on voyage dans le Donbass et particulièrement dans les territoires revendiqués par la République Populaire de Donetsk (RPD) : cette région légalement ukrainienne est culturellement russe. Pas seulement russophone ou russophile, mais profondément empreinte de culture russe. Cela ne justifierait en rien une annexion par le voisin russe mais appelle une lecture particulière des événements. Historiquement le Donbass, « Bassin du Don », est partagée entre l'Ukraine (« Oblast » ou région de Donetsk et Lougansk) et la Russie, (Oblast de Rostov).

L'unique langue parlée est le russe - peu connaissent l'ukrainien et personne ne l'utilise, la maîtrise de l'anglais tient de l'exception-, les croix et églises orthodoxes sont omniprésentes, tous revendiquent de la famille de l'autre côté de la frontière russe et une large partie se définit comme « russe ». De nombreux réfugiés ont d'ailleurs franchi la frontière à l'approche de la « bataille de Donetsk ».

Économiquement tournée vers la Russie
Économiquement, le Donbass est également tourné vers la Russie, notamment son industrie lourde et minière (charbon), maillon de la chaîne de production soviétique de l'époque et russe d'aujourd'hui, et l'industrie plus haute gamme apparue depuis les années 2000, comme le laminage de précision. Cette région de l'Ukraine partage également des normes de production spécifiques, différentes des normes européennes. Les six régions de l'Est (sur 24 au total) représentent 54% des exportations du pays, contre seulement 26% des importations.

Ces exportations étant à 80% dirigées vers la Communauté des Etats Indépendants (CEI, (1)). L'Oblast de Donetsk est également la plus riche région d'Ukraine - hormis la seule ville de Kiev - avec un salaire moyen de 3500 à 3900 UAH, contre un salaire moyen compris entre 2300 et 2900 pour les neuf régions de l'Ouest du pays (2), (3). Ces données macro-économiques ont leur importance, car dans la population, la ponction fiscale par Kiev des richesses produites par la région est un des motifs fréquemment cités pour soutenir les séparatistes ou du moins une plus grande autonomie de la région. Il est toutefois hasardeux d'établir que le solde impôts-subventions est véritablement désavantageux pour la région, les habitants du Donbass percevant également d'importantes aides sociales de Kiev.


A Donetsk, l'arbitraire règne mais les populations suivent
La légitimité des séparatistes et l'adhésion d'une grande partie de la population à leur bannière est une question complexe. Si certains séparatistes sont d'honnêtes gens prêts à sacrifier leur vie pour une cause qu'ils croient sincèrement juste, d'autres sont des demi-bandits, qui terrorisent les populations soupçonnées de trahison et abusent sans vergogne de l'autorité de leurs Kalachnikovs. Personne ne peut nier le sentiment d'arbitraire qui règne dans la capitale du Donbass. Pour autant, les séparatistes bénéficient d'un soutien palpable de la base, que les conditions rocambolesques du vote sur l'indépendance des régions de Donetsk et Lougansk n'ont pas permis de quantifier de manière objective.

L'interdiction du russe dans les régions ukrainiennes, vécue comme une négation de leur culture
Les raisons de cette adhésion sont de plusieurs ordres. La loi qui visait à interdire le russe dans l'ensemble des Oblasts (régions ukrainiennes) a évidemment été vécue comme une négation autoritaire de leur culture. L'épisode de la Maison des Syndicats d'Odessa (au moins quarante pro-russes avaient péri dans les flammes du bâtiment après de violents incidents avec des pro-ukrainiens, notamment les extrémistes de Pravyi Sektor) a également créer un marqueur dans la tête des populations russophiles.


« Notre gouvernement nous bombarde »
Il y a sûrement du fantasme chez les nombreux habitants qui qualifient de « fascistes » ou de « bandera » (en référence au nationaliste ukrainien Stepan Bandera) l'exécutif ukrainien. On reste toutefois effaré à la vue du « Wolfsengel » (symbole nazi) qu'arborent certaines milices loyalistes comme le bataillon Azov à Marioupol, auxiliaires de l'armée régulière. Les bombardements massifs, au mépris des populations civiles ont également eu raison de nombreux sceptiques, voire de pro-Maïdan. Aujourd'hui, beaucoup d'Ukrainiens de l'Est répètent en substance ceci : « nous ne nous reconnaissons plus dans cet Etat ukrainien qui nous bombarde, nous avons atteint le point de non-retour ». Vouloir réduire la volonté d'auto-détermination de certaines de ces populations à un simple « lavage de cerveau » de la propagande russe -comme on l'entend régulièrement - revient à éluder des réalités plus complexes.

La logique infernale de la guerre
La logique infernale de la guerre, où chaque camp justifie ses horreurs par celles des autres, a fait le reste. Il faudra arriver un jour à établir clairement les responsabilités de chacun dans l'escalade. Si Poutine en a certainement sa part, notamment dans l'envoi très probable de matériel et de troupes dans l'Est ukrainien (4), l'exécutif ukrainien et les diplomaties occidentales n'en sont pas exonérés pour autant. La démarche d'association de l'UE avec l'Ukraine sans concertation avec la Russie, la rhétorique souvent manichéenne et parfois belliqueuse des chancelleries occidentales et les sanctions discutables à l'égard de la Russie obligent à s'interroger. La stratégie du nouveau pouvoir en place de vouloir répondre par les armes à un soulèvement populaire, fut-il non-représentatif et soutenu par une puissance étrangère, pose également question.


Manichéisme à l'Ouest
La reprise en boucle du discours dominant par certains commentateurs - exonération faite des journalistes sur place - a également créé une polarisation extrême empêchant tout débat d'idées serein. (5)

La différence de perception d'une Ioulia Timochenko, ancienne premier ministre et figure de la révolution orange, entre l'Ukraine et la France (ou l'Allemagne) est à ce titre édifiant. Considérée comme « traître » par une grande partie des Ukrainiens (particulièrement du Maïdan) pour son deal passé avec Poutine à l'approche des élections de 2009 (le doublement du prix du gaz (6)), beaucoup la tiennent ici pour une des responsables de la crise. On est loin des portraits exaltés de certains titres français et allemands. Plus généralement, la perception du public occidental sur de nombreux aspects de cette crise tranche avec l'opinion ukrainienne, qu'elle soit pro-russe ou pro-Maïdan.

Une hostilité à l'égard de Poutine
Aujourd'hui, la réalité du terrain est complexe: il existe en Ukraine une hostilité - parfois une haine - à l'encontre de Vladimir Poutine et du système oligarchique corrompu hérité de l'URSS, auquel lui et la Russie sont désormais associés. Réduire cet élan partagé par une large partie du pays à un mouvement « fasciste », comme le fait le camp russe, est malhonnête. Les aspirations d'une autre partie du peuple ukrainien - de plus d'autonomie voire d'indépendance à l'Est - posent de vraies questions aux Etats-Nations, notamment occidentaux.

La panique provoquée par le référendum écossais en témoigne. Les balayer d'un revers de la main en taxant de « terroristes » les séparatistes et en accusant Poutine de vouloir rééditer un « Anschluss » est pourtant simpliste. Leurs revendications auraient peut-être dû être prises avec autant de sérieux que celles du Maïdan et une plus grande autonomie accordée à ces régions aurait sûrement pu éviter cette guerre. A l'approche de l'hiver et des premières vagues de froid, les séparatistes -appuyés par Moscou et son arme gazière - semblent en passe de gagner la partie.

Un compromis est encore possible
Reste aujourd'hui à trouver une sortie par le haut. Elle passera obligatoirement par une lecture apaisée du conflit, dans sa complexité. Le renoncement de l'Ukraine à l'OTAN est un premier message fort à destination de la Russie, qui se sent menacée à sa frontière dans une période de regain de tension avec les Etats-Unis (épisodes irakiens, géorgiens, libyens et syrien). Elle va dans le sens de la promesse - non respectée -, de Reagan à Gorbatchev à la chute de l'URSS, de ne pas intégrer les anciens pays satellites à l'Alliance atlantique (7). Le jusqu'au-boutisme des différentes parties a mené à une impasse politique qui a déjà coûté la vie de 2700 personnes.

La première priorité serait d'en finir avec un discours simpliste qui voudrait faire croire à l'invasion prochaine des Pays baltes et de la Pologne par Vladimir Poutine. Une solution intermédiaire, évitant la sortie du Donbass du territoire ukrainien, est encore envisageable. Elle passera par un compromis subtil, la définition d'une diplomatie occidentale ferme mais raisonnée et l'arrêt effectif des hostilités, dont les premières victimes sont, encore une fois, les populations locales.

(1) Azerbaïdjan, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Mongolie (État observateur)
(2) State Statistic Service of Ukraine FY 2013
(3) 17 UAH ~= 1 euro,
(4) Les éléments qui accréditent l'intervention de soldats russes en Ukraine par Benoît Vitkine LE MONDE, 28 août 2014
(5) Médias français en campagne ukrainienne, LE MONDE DIPLOMATIQUE par Mathias Reymond, août 2014
(6) Exactly what is a fair price for Ukraine to pay for Russian gas? Par Ben Aris Business New Europe, 16 juin 2014
(7) Hongrie, Pologne, République tchèque (1999), Estonie, Lettonie, Lituanie, Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie (2004).

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