Renault-Nissan embarqué de force dans Avtovaz - Par NATHALIE RAULIN

Automobile . Sous la pression de Poutine, l’alliance franco-japonaise devrait monter à 50% dans le capital de son partenaire russe.

Ça ressemble à une aimable invitation. C’est en réalité un oukase. Hier, à l’issue d’une rencontre avec le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, Carlos Ghosn, patron de l’alliance automobile franco-japonaise Renault-Nissan, a résumé en terme euphémistique le message du Kremlin : «Le Premier ministre a indiqué qu’il n’était pas opposé, mais qu’il était d’accord pour que la part de Renault-Nissan dans Avtovaz soit élargie et qu’elle puisse atteindre 50%.» La réalité est moins policée. Lors d’un déplacement à Paris la semaine dernière, Poutine avait intimé au constructeur français de venir à la rescousse du fabricant russe des célèbres Lada, dont il détient déjà 25% du capital. A défaut de quoi, Renault verrait diluer sa participation au capital d’Avtovaz, pour lequel il avait déboursé la somme pharaonique de 1 milliard de dollars en février 2008 dans l’espoir de conquérir un marché russe à l’époque réputé prometteur.

La crise a ébranlé cette ambition. L’effondrement des ventes de voitures en Russie a fini de déstabiliser le constructeur des Lada aux usines vétustes et à la dette exorbitante (1,2 milliard d’euros). Sensible à l’avenir d’Avtovaz et peu désireux de s’aliéner les investisseurs étrangers, le gouvernement russe avait, dans un premier temps, choisi d’épauler le groupe en lui consentant en mars un prêt de 25 milliards de roubles (570 millions d’euros), en contrepartie d’apports de technologies françaises. Profitant de l’embellie du secteur automobile, le Kremlin change son fusil d’épaule. Pour le gouvernement, la restructuration sévère que s’impose Avtovaz (avec la suppression attendue de plus du quart de ses effectifs) doit désormais s’accompagner d’une refonte du capital jusqu’à présent écartelé entre Renault (25%), le conglomérat russe Rostekhnologuii (25,1%) et la banque d’investissement Troïka Dialog (25%).

«Bien sûr, nous réagissons de manière positive à cette demande», a hier rassuré Carlos Ghosn, après plusieurs mois de résistance aux pressions du Kremlin. Sensible au redressement des bénéfices du constructeur russe, le grand patron négocie aujourd’hui le rachat par Nissan des 25% de Troïka Dialog dans Avtovaz. L’alliance automobile franco-japonaise joue donc la prise de contrôle du russe. Quitte à devoir assumer d’éventuelles pertes.

Qui dit nouveau mois qui commence, fût-ce de façon mélancolique comme en ce 1er novembre avec la Toussaint, dit également coup d'œil aux tendances du marché automobile russe et à la situation de LADA plus particulièrement. En attendant les statistiques complètes qui seront communiquées en début de semaine prochaine, notons ainsi que la marque à la barque a livré en octobre pas moins de 50.251 voitures sur son marché domestique. Ce qui se rapproche progressivement des résultats d'avant-crise (56.669 unités en octobre 2008) et représente surtout un bond très appréciable de +78,1% par rapport au même mois de l'année dernière ! Avec 27.297 unités, les ventes réalisées dans le cadre du programme fédéral de prime à la casse progressent pour leur part de quasiment +15% en comparaison du mois de septembre. Au cumul des dix premiers mois de l'année, ce sont donc 166.437 voitures qui ont été livrées par AVTOVAZ dans le cadre de ce programme pour un total de 418.016 LADA mises en circulation en Russie. Ce qui correspond à une augmentation de +40,4% par rapport à 2009 !

D'après le rapport préliminaire d'audit externe dressé par l'institut britannique Adam Smith, le bénéfice net d'AVTOVAZ aux normes comptables russes (RAS) pour les neuf premiers mois de l'exercice 2010 avoisinerait les 622 millions de roubles (environ 15 millions €). Une estimation officiellement approuvée par le vice-président d'AVTOVAZ en charge des finances, Oleg Lobanov, qui précise cependant que certains chiffres doivent encore être affinés. L'an passé, sur base des mêmes méthodes de calcul, le déficit net du constructeur de Togliatti à l'issue du troisième trimestre s'élevait pour mémoire à 19,7 milliards de roubles tandis que le bilan au premier semestre 2010 faisait état de pertes à hauteur de 612 millions de roubles. Corrigées aux normes internationales IFRS, ces dernières ont toutefois été ramenées depuis lors à un bénéfice net de 3,1 milliards de roubles (voir mon article du 05/10). Selon les prévisions actuelles, le bénéfice net aux normes RAS dégagé à la fin de l'exercice 2010 devrait ainsi dépasser le milliard de roubles, conformément aux engagements du "business plan 2020" qui promet le retour à la rentabilité dès cette année.

Initialement établi à - 612 millions de roubles selon les normes de comptabilité "RAS" (Russian Accounting Standards), le déficit d'AVTOVAZ pour le premier semestre de l'exercice 2010 se voit finalement ramené à un bénéfice net de + 3,1 milliards de roubles (74,5 millions €) après recalcul sur base des normes internationales d'information financière "IFRS" (International Financial Reporting Standards) ! Si certains n'y verront sans doute qu'un habile tour de passe-passe, un tel écart s'explique par le fait que la logique de ces normes comptables repose sur quelques points parfois divergents du droit comptable national, en particulier en matière d'option de valorisation à la juste valeur des actifs et passifs, de primauté de la substance sur la forme, d'une approche prioritairement bilancielle, de la prise en compte prioritaire de la vision de l'investisseur, du principe de prudence subordonné à celui de neutralité et de pertinence, à l'absence de textes spécifiques à un secteur d'activité, à la moindre reconnaissance de la comptabilité d'intention et à la place plus importante qu'occupe l'interprétation dans l'application des normes. En clair : le référentiel international comprend non seulement le bilan mais aussi le compte de résultat, le tableau de flux de trésorerie, l'annexe et "tout autre document utile à la compréhension des comptes"